6 Décembre 2015
Cet article a été écrit en octobre, en pleine actualité sur les réfugiés de Syrie. Depuis, il y a eu le 13 novembre. Mais cela ne change rien au fond de mon message.
Photos de bidonvilles de région parisienne, années 50.
Maria (prénom modifié) travaille avec moi. Elle est portugaise mais a passé les 27 premières années de sa vie en banlieue parisienne. Je l'interroge sur son parcours familial. Son père a quitté le Portugal en 1955 et, ce n'est pas un cliché, mais il travaillait dans le bâtiment. Sa mère faisait des ménages. Elle me dit, avec des étincelles dans les yeux: "vous savez, j'ai eu une enfance très heureuse". Je m'étonne de son affirmation et lui en demande un peu plus. "J'ai passé les premières années de ma vie dans un bidonville à Nanterre".
Des années 50 à 70, 750.000 portugais ont émigré en France, pour des raisons politiques pour certains, pour des raisons économiques pour beaucoup. Pour fuir la dictature de Salazar et la misère. Ses parents ont passé deux frontières en toute illégalité comme tant d'autres.
Maria a appris à marcher dans un bidonville mais elle m'a raconté la joie de ces camps de fortune, la solidarité et l'entraide qui y régnait. Elle m'a raconté le bonheur d'enfin obtenir un logement décent dans ces cités HLM. Elle m'a raconté la réussite professionnelle de son père.
Maria habite ici depuis plus de vingt ans, son deuxième pays, ses enfants ont grandi à Lisbonne mais sont étudiants en France.
Moi, je viens d'arriver. Je suis une immigrée provisoire. Ou une touriste de longue durée.
Je ne suis pas une réfugiée. Je n'ai pas fui la guerre, ni la misère, ni d'éventuelles exactions.
Je suis ici et je n'ai jamais encore senti l'once d'un regard désobligeant ni que je gênais tout simplement par ma présence, par ma différence.
Je suis une française de l'étranger, on est 2,5 millions. On a même des députés et des sénateurs qui nous représentent. Un des réseaux diplomatiques les plus étendus du monde après la Chine et les USA.
Je suis française et j'ai mal à ma France. Mon pays qui devient brun. Mon pays qui semble ne plus écouter que la fachosphère et ses affreux F-haineux. Mon pays où beaucoup s'insurgent que l'on propose l'accueil de seulement 24.000 réfugiés, soit moins d'un par commune. Mon pays qui laisse s'exprimer toute cette haine, cette peur de l'autre: l'étranger. Je suis "de souche" comme certains décérébrés nomment les "vrais" français. De ce pays qui serait de "race blanche aux origines judéo-chrétiennes". Je n'y peux rien, je ne l'ai pas choisi. Mais suis-je plus française que Maria?
La France, si tu voyages un peu, pour le reste du monde, c'est le pays de la liberté, des droits de l'homme, de la révolution. Une expression la résume en Allemagne : "Glücklich wie Gott in Frankreich" (heureux comme Dieu en France). La France sans ses vagues migratoires successives ne serait pas la France, n'en déplaise à ceux qui attendent avec impatience les matins bruns.
Il y a des millions de Maria. Il y en aura encore.
Je n'ai pas fui la guerre, ni la misère, ni d'éventuelles exactions. Mais, j'aurais aussi risqué ma vie et traversé des frontières en toute illégalité pour un monde meilleur.